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Jerry Goldsmith nous

entraine dans un monde

musical visceral. 

 

​

​

LES CHEF-D'ŒUVRES DE   

 

MAN

  WARNER BROS 

ORIGINAL SOUNDTRACK

 

1969

 

AN IMPORTANT SCORE

ILLUSTRATED

Echo d’une démarche

compositionnelle expérimentale

et avant-gardiste

 

ANALYSE DE QUENTIN BILLARD

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ALIEN - 1979 ALL RIGHT RESERVED - 20 CENTURY FOX PRODUCTIONS - MUSICAL LAW CRÉATION

Jerry Goldsmith décrivait sa partition

de " The Illustrated Man " comme du "sérialisme lyrique"

MUSICAL LAW

L'atout majeur d'un film curieux ...

 

"The Illustrated Man" (L’homme tatoué) est une adaptation assez libre d’un roman du célèbre écrivain de science-fiction Ray Bradbury. Réalisé par Jack Smight en 1969, ‘The Illustrated Man’ raconte une histoire pour le moins étrange, celle d’un homme dont le corps est entièrement recouvert de tatouages (le personnage insiste d’ailleurs très lourdement pour appeler cela des ‘illustrations sur peau’), et qui recherche la femme qui les a réalisé il y a bien longtemps. 

Carl (Rod Steiger) traverse une bonne partie du pays à la recherche de Felicia (Claire Bloom), la mystérieuse femme qui a réalisé toutes ces illustrations sur peau qui recouvrent l’ensemble de son corps, de la tête aux pieds. Carl fait la connaissance de Willie (Robert Drivas), un voyageur qui fait une pause près d’un lac pour se ressourcer avant de repartir vers la ville.

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LCrispé et brutal, Carl interroge nerveusement Willie sur la maison de Felicia qu’il recherche depuis des années, mais en vain. Selon lui, la maison aurait mystérieusement disparu avec la jeune femme, qui serait retournée selon lui dans le futur. Effectivement, les tatouages qu’elle lui a laissé sur son corps représentent une sorte de malédiction. Ces tatouages prennent vie lorsqu’on les regarde fixement et chacun raconte une histoire particulière. Le film nous dévoile ici trois de ses histoires (inspirées des nouvelles de Ray Bradbury) qui se déroulent toutes dans le futur. La première (‘The Veldt’) évoque un couple, Carl et Felicia, qui a des soucis avec leurs deux enfants. Ces derniers sont de vraies terreurs qui n’en font qu’à leur tête et utilisent leur simulateur de réalité virtuelle pour se balader dans la savane africaine bourrée de lions affamés. ‘The Long Rain’ raconte l’histoire du capitaine Carl et de son équipage échoués sur une planète hostile dans laquelle la pluie ne s’arrête jamais de tomber, et qui finit par rendre les membres de l’équipage complètement fou. Enfin, ‘The Last Night in the World’ raconte à nouveau l’histoire du couple Carl/Felicia mais dans une autre époque, alors que la fin du monde est proche. Ne sachant pas comment le monde va être anéanti, Carl décide que ses deux enfants soient tués pour éviter de souffrir le jour de la fin du monde. Willie fait ainsi l’expérience de ces trois histoires, jusqu’à ce qu’il finisse par observer une partie isolée sur le dos de Carl, qui ne contient aucun tatouage : il y voit son propre futur qui le terrifie au plus haut point.

‘The Illustrated Man’, c’est donc une sorte de fable métaphysique de science-fiction parfaitement étrange, une sorte d’OVNI dans le paysage cinématographique hollywoodien de l’époque. Dominé par un ton psychédélique très connoté fin des « sixties » (on sent que le LSD et le festival de Woodstock ne sont guère loin derrière!), le film de Jack Smight impose un Rod Steiger agressif, soupe au lait, nerveux, ambigu et revanchard, face à un Robert Drivas plus terne mais tout aussi tourmenté. Enfin, Claire Bloom s’impose parfaitement quand à elle dans le rôle de la mystérieuse séductrice qui est à la créatrice des tatouages énigmatiques sur le corps de Carl. Le film tente vaguement de lancer une réflexion sur le besoin de l’homme de connaître son futur au delà de sa simple existence dans le présent et les conséquences que cela entraînerait s’il possédait un tel pouvoir. Mais la réalisation de Jack Smight est tellement brouillonne et passe-partout qu’elle échoue à donner une véritable profondeur philosophique à ce récit. Reste que le scénario, le jeu des acteurs et les décors futuristes ultra kitsch du film (en particulier ceux de la planète de la pluie dans ‘The Long Rain’) forment un canevas d’étrangeté pour le moins embarrassant, d’autant que l’interprétation de Rod Steiger frôle à de nombreuses reprises l’hystérie colérique quasi incontrôlée. Malgré l’audace originale du film et son côté provocateur,

‘The Illustrated Man’ s’embourbe dans de la bizarrerie pure et dure. Alors que Jack Smight semble avoir voulu faire un film d’auteur avec ‘The Illustrated Man’, il n’accouche que d’un long-métrage bancal, boursouflé de nombreux défauts et aujourd’hui toujours aussi étrange que daté.

La musique de Jerry Goldsmith constitue l’atout clé du film de Jack Smight. Ecrite seulement un an après ‘Planet of the Apes’, la partition de ‘The Illustrated Man’ se fait l’écho d’une démarche compositionnelle expérimentale et avant-gardiste saisissante dans le paysage musical hollywoodien de l’époque, démarche déjà encouragée par des compositeurs comme Bernard Herrmann et surtout Leonard Rosenman, qui écrira la première partition dodécaphonique pour le cinéma américain en 1955 avec ‘The Cobweb’. Jerry Goldsmith a eu à coeur avec le film de Jack Smight d’écrire une musique à la fois mystérieuse, étrange, envoûtante, déstabilisante pour cette histoire d’un homme tatoué à la recherche de la femme qui a crée sa « malédiction ». Deux axes stylistiques majeurs traversent l’ensemble de la partition du film : d’un côté, une partie symphonique incluant de nombreux effets instrumentaux avant-gardistes et des techniques de musique sérielle/dodécaphonique dans la lignée des expérimentations de ‘Planet of the Apes’. Jerry Goldsmith récapitule une fois de plus ici son goût sur pour la science musicale sérielle et bruitiste, de Berg à Penderecki. De l’autre côté, on découvre une facette plus électronique et abstraite de la partition, avec des morceaux entièrement écrits pour des synthétiseurs étranges et expérimentaux, aux sonorités kitsch typiquement années 70.

 

La partition de Goldsmith s’articule autour d’un thème principal fédérateur omniprésent tout au long du film, une mélodie belle, envoûtante et mélancolique, aux allures de vieille ballade populaire. Le ‘Main Title’ dévoile ainsi ce thème principal chanté par une voix de femme éthérée et solitaire évoquant la mystérieuse Felicia et son charme envoûtant. Très vite, quelques instruments solistes viennent rejoindre la chanteuse incluant une flûte, un hautbois, une harpe et quelques cordes. Le morceau étonne par sa légèreté et son entrain quasi innocent alors que l’on voit à l’écran les deux protagonistes principaux se baigner dans le lac. La fin du morceau laisse néanmoins planer subtilement un certain sentiment de doute.

Ce doute se concrétise alors avec l’inquiétant ‘The House’ pour la scène où Carl raconte le début de la création de ses illustrations sur peau. La musique se veut ici plus menaçante et atonale avec des effets instrumentaux divers incluant vibrato au quart de ton des cordes dissonantes, flatterzunge de flûte, effets de tremolos sur le chevalet, clusters, etc. Goldsmith réutilise toute les techniques avant-gardistes qu’il avait déjà clairement mis en valeur dans ‘Planet of the Apes’ pour créer un sentiment de malaise dans le film alors qu’il accompagne le caractère enragé et colérique du personnage de Rod Steiger dans le film. La musique ne commente nullement l’action ici mais s’impose a contrario comme le reflet de la psychologie brutale et inquiétante de Carl, qui ne cesse d’effrayer Willie par son comportement hostile. A noter que le milieu de la partition décrit la séquence chez Felicia, avec une reprise du thème sur un arrangement de violons intrigants et une utilisation inventive d’un sitar indien.

Goldsmith poursuit ses expérimentations dans ‘The Illustrations’ qui évoquent les mystères des illustrations sur peau de Carl. Si le langage atonal/avant-gardiste de ‘Planet of the Apes’ est ici aussi sous-jacent, on y retrouve aussi une très nette influence de la partition de ‘Freud’ (1962), influence qui devient clairement incontestable dans ‘Felicia’ où Goldsmith semble avoir été inspiré du style d’Alban Berg, comme dans la musique de ‘Freud’. Avec ses sonorités étranges (cf. la façon dont Goldsmith développe une mélodie dans ‘Felicia’ en faisant une doublure d’octaves extrêmes entre violon et violoncelle) et ses jeux instrumentaux extrêmement modernes pour l’époque, la musique de ‘The Illustrated Man’ instaure clairement un sentiment de malaise profond dans le film, sans jamais basculer dans l’agressivité pure comme le confirme subtilement ‘The Rose’ (scène où Carl montre l’illustration de la rose qu’il a dans sa main). La tension est sous-jacente mais elle n’explose jamais, comme si quelque chose semblait la retenir malgré tout. Avec ‘The Lion’, la partition se décompose alors en trois parties bien distinctes accompagnant les trois histoires que racontent les tatouages de Carl : ‘The Veldt’, ‘The Long Rain’ et ‘The Last Night of the World’. ‘The Veldt’ s’impose tout d’abord par son côté entièrement électronique et expérimental.

Utilisant les synthétiseurs de l’époque, Goldsmith nous propose des morceaux synthétiques totalement expérimentaux, dans lesquels il décrit le monde moderne du 21ème siècle (l’histoire se déroule dans le futur). A cette utilisation moderne des synthétiseurs typiquement fin des années 60/début 70, Goldsmith utilise une série dodécaphonique dans ‘21th Century House’ (12 sons issus de la gamme chromatique et qui sont énumérés les uns à la suite des autres sans répétition – technique théorisée par Arnold Schoenberg à partir de 1923 à Vienne). Les sonorités analogiques des synthétiseurs de Goldsmith paraissaient sans aucun doute très modernes pour l’époque, mais aujourd’hui, on a bien du mal à s’empêcher de sourire face au côté extrêmement daté de ces sons proche des musiques des premiers jeux vidéo des années 70. Goldsmith prolonge son travail d’abstraction sonore total dans ‘Angry Child’ où il évoque la colère des enfants du couple Carl/Felicia, colère qui va se retourner contre eux. La musique bascule alors dans l’étrangeté la plus absolue avec ‘Quiet Evening’ où le thème refait son apparition, joué ici par des synthétiseurs cristallins et futuristes (ces passages électroniques du score de ‘The Illustrated Man’ annoncent très clairement le style du ‘Logan’s Run’ de 1976). Finalement, l’orchestre réapparaît à la fin de ‘Quiet Evening’ pour le final terrifiant de l’histoire de ‘The Veldt’, final massif, chaotique et dissonant où l’orchestre se mélange astucieusement aux synthétiseurs pour former un véritable magma sonore moderne impressionnant bien que très bref.

‘Skin Illustrations’ et ‘The Rocket’ nous ramènent dans le temps présent où les illustrations sur peau de Carl poursuivent leurs récits de terreur avec un ton toujours très inquiétant et envoûtant. A noter par exemple l’utilisation d’un effet d’écho à la fin de ‘The Rocket’ lorsque l’image devenant floutée bascule progressivement vers ‘The Long Rain’. Ce second récit se décompose quand à lui en deux morceaux : ‘The Rain’ et ‘The Sun Dome’. Avec ‘The Rain’, on retrouve l’orchestre symphonique habituel dans lequel Goldsmith renoue avec les sonorités dissonantes, atonales et modernes de ‘Planet of the Apes’. Flatterzunge de flûtes, clusters de cordes, amoncellement de trilles dissonantes des cordes, éléments sériels, nombreux effets d’échoplex (technique déjà utilisée par Goldsmith dans ‘Planet of the Apes’ et qu’il réutilisera par la suite dans des scores tels que ‘Patton’, ‘Tora Tora Tora’ ou bien encore ‘Alien’), etc. Idem pour ‘The Sun Dome’ qui, à l’instar de ‘The Rain’, installe un véritable climat d’angoisse et de malaise à l’écran sur cette planète envahie par une pluie incessante qui rend fou les membres de l’équipage perdu. ‘The Sun Dome’ est entièrement basé lui aussi sur une série dodécaphonique jouée par des flûtes en échoplex, dans un style fortement inspiré ici du générique de début de ‘Planet of the Apes’. Enfin, la troisième histoire, ‘The Last Night of the World’, s’avère être plus chaleureuse et intime que les deux précédentes sections du score, même si l’on y retrouve ici aussi une certaine tension psychologique sous-jacente. ‘Almost a Wife’ s’avère être l’un des plus beaux morceaux de la partition du film de Jack Smight et aussi l’un des plus longs (un peu plus de 6 minutes), alors que le nouveau couple Carl/Felicia se retrouve face à un cruel dilemme : tuer leurs enfants pour éviter qu’ils souffrent lorsque le monde sera détruit. C’est l’occasion pour le compositeur de nous offrir un peu de tendresse et de retenue avec une magnifique reprise du thème principal joué par une flûte à bec solitaire, que l’on retrouve dans ‘The Morning After’ sur fond de cordes dissonantes qui instaurent clairement une sensation de malaise alors que Felicia découvre au matin que le monde est toujours là mais que son mari a finalement tué ses enfants dans la nuit. Finalement, après le sombre ‘The House is Gone’, la partition se conclut sur le tonitruant et terrifiant ‘Frightened Willie’ qui apporte une conclusion résolument agressive et sombre à la partition de ‘The Illustrated Man’, une sorte de coda virtuose de fureur et de violence alors que la musique explose enfin lorsque Willie découvre terrifié son sinistre futur dans le dos de Carl. Goldsmith utilise ici des vents stridents, des percussions agressives (avec une utilisation inventive de glissando de percussions métalliques), des cuivres frénétiques et dissonants, des clusters de cordes en tout genre et des rythmes syncopés et complexes proche de Stravinsky et Bartok.

Véritable petit chef-d’œuvre de Jerry Goldsmith, ‘The Illustrated Man’ est une nouvelle preuve de l’immense savoir-faire d’un compositeur ayant atteint une certaine maturité de style à la fin des années 60, entamant un tournant décisif dans sa carrière avec le monumental ‘Planet of the Apes’ qui l’instaure définitivement comme l’un des musiciens savants majeurs du cinéma hollywoodien de l’époque. Ecrite dans la continuité de son précédent chef-d’œuvre pour le film de Franklin J. Schaffner, ‘The Illustrated Man’ est un parfait condensé de toute la science avant-gardiste et moderne de Jerry Goldsmith qui, à la fin des années 60, a su magnifiquement condenser toutes les nouvelles techniques d’écritures de la musique savante de l’époque pour l’associer à son style personnel et nous offrir quelques véritables trésors de la musique de film des années 60.

 

Jerry Goldsmith décrivait sa partition de 'The Illustrated Man' comme du "sérialisme lyrique", une expression originale qui pourrait parfaitement résumer l'ambiance forte et envoûtante de ce petit bijou du maestro californien. Bien qu’ayant toujours injustement vécue dans l’ombre de ‘Planet of the Apes’, la musique de ‘The Illustrated Man’ n’en est pas moins pour autant un véritable trésor d’inventivité, d’expérimentation et de modernisme, une musique complexe, sérielle et avant-gardiste qui instaure tout au long du film de Jack Smight une atmosphère psychologique et étrange absolument parfaite. Voilà donc une partition passionnante à redécouvrir absolument grâce à la magnifique édition complète de chez FSM!

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